Biens mal acquis / Sara Brimbeuf : « Notre action de plaidoyer et les procédures engagées il y a 14 ans poursuivent un seul et même objectif : s’assurer que l’argent soit bien rendu aux populations auxquelles il a été volé. »

Biens mal acquis / Sara Brimbeuf : « Notre action de plaidoyer et les procédures engagées il y a 14 ans poursuivent un seul et même objectif : s’assurer que l’argent soit bien rendu aux populations auxquelles il a été volé. »

Sara Brimbeuf

Avocate de formation et diplômée d’un master de droit international économique de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Sara a rejoint Transparency International France en 2018 après être passée par le département de droit pénal des affaires d’un cabinet d’avocat, la division anti-corruption de l’OCDE et le programme Globalisation et Droits Humains d’une organisation non gouvernementale.

Responsable du plaidoyer Grande Corruption et Flux Financiers Illicites, elle travaille plus particulièrement sur la restitution des « biens mal acquis », la lutte contre le blanchiment et la transparence fiscale. En charge du suivi et de la coordination des affaires dites des « biens mal acquis » et de corruption transnationale dans lesquelles l’association s’est constituée partie civile, Sara travaille également sur la reconnaissance et la réparation du préjudice des victimes de la corruption.

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L’interview

Quand on dit « bien mal acquis », on pense aux affaires, aux procès dans lesquels Transparency international France s’est constituée partie civile, mais il y a aussi un autre domaine d’action en la matière, tout aussi important : le plaidoyer.

C’est vrai. Même si nous sommes parties civile dans une demi-douzaine « d’affaires » de types Biens Mal Acquis, le contentieux, c’est-à-dire les actions en justice, ne représente qu’une petite partie de l’activité d’une ONG comme Transparency International. Nous sommes avant tout une ONG qui fait du plaidoyer. En clair : nous faisons du lobbying auprès des décideurs publics et des élus pour les convaincre de la nécessité d’adapter ou de créer des lois pour mieux lutter, prévenir, détecter ou sanctionner les faits de corruption.

Ces deux formes d’action sont complémentaires. En effet, quand nous avons engagé les procédures dans les affaires de biens mal acquis, les étapes successives de ce périple procédural étaient claires : identifier les biens, démontrer qu’ils ont été acquis par des dirigeants étrangers et leur entourage avec de l’argent public détourné, les faire saisir par la justice durant le temps de la procédure, obtenir leur confiscation définitive par la justice et, enfin restituer ces biens aux populations des pays d’origine.

Or, dans ces affaires, en l’absence d’une requête ou d’une action en justice de la part du ou des Etats d’origine, le droit français ne permet pas la restitution des biens confisqués. Une fois définitivement confisqués, ces avoirs – hôtels particuliers, voitures de luxe, objets d’art, etc. – retombent dans le budget général de la France. Une double peine pour les populations des pays d’origine, spoliées une seconde fois.

Vous avez donc entamé un marathon de plaidoyer en parallèle du marathon judiciaire.

Effectivement, dès le dépôt des plaintes initiales, en parallèle de l’instruction et des condamnations successives, TI-France a sollicité une série de rencontres avec des représentants des différents ministères concernés, celui des Affaires étrangères, celui de la Justice et aussi celui de l’Economie et des Finances, mais également des parlementaires. L’enjeu était de convaincre nos interlocuteurs de la nécessité de créer un mécanisme de restitution, d’en dessiner les contours et de trouver une fenêtre d’opportunité pour produire et faire voter une loi.

Cela a pris du temps, mais nous avons trouvé une oreille attentive et une volonté d’agir à nos côtés en la personne du sénateur Jean-Pierre Sueur. De ce travail commun est née une proposition de loi relative à l’affectation des avoirs issus de la corruption transnationale reprenant l’ensemble de nos recommandations. Le passage de ce texte puis son vote à l’unanimité au Sénat en première lecture au printemps 2019 a été une avancée considérable dans notre plaidoyer. Les débats ont permis au gouvernement de rappeler son attachement au principe de restitution et d’enclencher la fabrication de la loi. Les députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin ont été chargés de piloter une mission parlementaire sur le sujet, auditionner les acteurs, ONG, les services de l’Etat pour imaginer un dispositif de restitution à la fois. Il a fallu ensuite trouver un « véhicule législatif », c’est-à-dire une loi dans laquelle nous pourrions intégrer un tel dispositif. Dans un contexte de pandémie avec un agenda parlementaire accaparé par les plans de relance et les réformes de fin de mandat, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales (ndlr : ci-après « PJL Développement Solidaire ») s’est finalement avéré être le bon véhicule. En quelques mois, tout s’est considérablement accéléré.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce dispositif ?

Les fonds confisqués dans les affaires de type « biens mal acquis » donneront lieu à l’ouverture de crédits budgétaires spécifiques placés sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères. Ces fonds financeront des actions de coopération et de développement dans les pays concernés au plus près des populations, dans le respect des principes de transparence et de redevabilité, et en veillant à l’association des organisations de la société civile.

Il faut comprendre que l’un des principaux défis auquel doit répondre une politique de restitution des avoirs consiste à s’assurer que les fonds confisqués, une fois restitués, ne retombent dans les circuits de la corruption ou entre les mains d’agents publics corrompus. Il a donc fallu intégrer au mécanisme des garanties suffisamment solides permettant de s’assurer de la transparence, de la redevabilité et de l’intégrité du processus. Ces garanties doivent toutefois être assez générales pour couvrir plusieurs cas de figure selon l’histoire, le régime politique – changement de régime ou non – , la situation géographie, etc…. du pays d’origine des avoirs. Ces dispositions ont grandement été inspirées des recommandations des organisations de la société civile, elles-mêmes tirées des meilleures pratiques internationales ainsi que des dix principes du Global Forum on Asset Recovery (GFAR) arrêtés en décembre 2017 pour la disposition et le transfert des avoirs volés confisqués dans les affaires de corruption.

Et maintenant ?

Nous franchissons les étapes une par une.

Le vote du projet de loi Développement solidaire est prévu à la mi juillet. Il restera ensuite à définir les modalités techniques et budgétaires du principe de restitution à l’automne prochain, dans le cadre de la loi de finance pour 2022.

Cette prochaine étape sera une nouvelle occasion de définir précisément les termes de la loi. La restitution se situe à la croisée des chemins de la lutte anti-corruption et anti-blanchiment, de l’aide au développement et de la réparation du préjudice des victimes. Autant de sujets dans lesquels le diable se cache dans les détails. Il s’agira alors d’être très attentif à l’élaboration de ce texte.

Une prochaine étape s’amorcera ensuite avec les confiscations définitives des biens par la justice française. On s’en approche avec l’affaire Teodorin Obiang dont le pourvoi a été examiné par la Cour de cassation le 16 juin dernier et dont la décision devrait être rendue à la fin du mois de juillet. Il s’agissait du dernier recours possible en France de Teodorin Obiang, condamné pour blanchiment de détournement de fonds publics, devant la justice française. Un rejet de ce pourvoi signifierait la confiscation définitive des biens du vice-président de Guinée équatoriale, dont la valeur est estimée à approximativement 150 millions d’euros.

Enfin, le Ministère des affaires étrangères s’octroyant la possibilité de définir les modalités de restitution « au cas par cas », le mécanisme sera précisé et affiné en fonction de chaque affaire. Il n’y a pas, en effet, de recette unique en matière de restitution. On ne restitue pas selon les mêmes modalités à la Syrie, à l’Ouzbékistan, ou à la Guinée équatoriale. Chaque restitution dépend de la nature du régime en place, de sa gouvernance et de sa capacité à absorber des sommes importantes d’argent, du degré de transparence de ses finances publiques, de son réseau associatif local, etc.

Face à cette multitude de cas d’espèce, afin d’éviter que les intérêts politiques, économiques ou diplomatiques prennent le pas sur l’objectif premier de la restitution, il est crucial d’instaurer des garanties permettant d’assurance la transparence, la redevabilité et l’association des organisations de la société civile.

Cet objectif, c’est celui que nous étions fixé il y a 14 ans lorsque nous avons engagé ces procédures. Depuis, il est resté le même : s’assurer que l’argent soit bien rendu aux populations à qui il a été volé.

EN SAVOIR PLUS

Revivez 15 ans de combat judiciaires et de plaidoyer avec notre podcast Les « biens mal acquis », une écriture collective du droit produit avec Amicus Curiae

« Notre action de plaidoyer auprès des décideurs publics et les procédures engagées il y a 14 ans dans les affaires de biens mal acquis poursuivent un seul et même objectif : s’assurer que l’argent soit bien rendu aux populations à qui il a été volé. »

Sara Brimbeuf

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