TRANSPARENCE DES RENCONTRES DES DEPUTES AVEC LES LOBBYISTES : LA PROGRESSION DES BONNES PRATIQUES RESTE LIMITÉE PAR LE MANQUE DE VOLONTÉ POLITIQUE

TRANSPARENCE DES RENCONTRES DES DEPUTES AVEC LES LOBBYISTES : LA PROGRESSION DES BONNES PRATIQUES RESTE LIMITÉE PAR LE MANQUE DE VOLONTÉ POLITIQUE

Publié le 23 avril 2021

Transparence du lobbying : des obligations légales et des bonnes pratiques

Depuis 2017, la Loi Sapin 2 impose aux lobbyistes de s’inscrire au répertoire des représentants d’intérêts de la de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et d’y déclarer les activités de lobbying entreprises auprès des décideurs publics. Si ces dispositions, constituent un progrès indéniable pour mieux mesurer le poids des groupes d’intérêts sur la décision publique, elles ne sont cependant pas suffisantes pour savoir avec précision qui influence qui, quand, à quel sujet et avec quels moyens.

Le 30 septembre 2019, l’ONG WWF et Transparency International France lançaient la campagne “Lobbying à découvert” pour favoriser la transparence dans les relations entre les lobbys et les décideurs publics.

En plus d’appeler au renforcement des obligations déclaratives des lobbyistes créées par la Loi Sapin 2, les deux ONG invitaient les responsables publics (ministres, membres de leurs cabinets, hauts fonctionnaires et parlementaires) à prendre leurs responsabilités et à rendre publiques sous un format ouvert leurs rencontres avec les lobbyistes.

10 jours plus tard, dans une tribune volontariste publiée par Le Monde et intitulée Lobbying : « Pour des pratiques radicalement nouvelles et volontaristes en matière de transparence », 323 députés de la majorité s’engageaient à promouvoir les bonnes pratiques en matière de transparence du lobbying à l’Assemblée nationale et plus particulièrement la transparence de leurs rencontres avec les lobbies ainsi que le « sourcing » des amendements parlementaires proposés par des représentant d’intérêts.

16 mois plus tard, en pleine évaluation parlementaire de la Loi Sapin 2 et alors que les députés examinent une Loi Climat qui fait l’objet d’un intense lobbying et que la déontologue sortante de l’Assemblée nationale a rendu public son rapport d’activité, il est temps de mesurer la progression de ces « bonnes pratiques » au Palais Bourbon.

En matière de « sourcing » des amendements, la pratique semble gagner du terrain à l’Assemblée nationale : selon une étude menée en décembre 2019 par le cabinet Communication & Institutions, 1 amendement parlementaire sur 10 présenté en séance ou en commission lors de l’examen de la loi contre le gaspillage et pour l’économie circulaire était sourcé (). L’étude montre que la pratique est répandue dans presque tous les groupes politiques. Les députés des groupes LREM et Modem signataires de la tribune ont présenté le plus grand nombre d’amendements sourcés, tandis que les membres des groupes d’opposition sourçaient une part plus importante des amendements qu’ils ont déposés.

Un relevé exhaustif des pratiques des députés effectué par Transparency international France révèle que seuls 15,9 % des signataires de la tribune rendent public l’agenda de leurs rencontres avec des lobbyistes (contre 11,2 % pour l’ensemble des députés).

A noter que seulement deux des cinq auteurs de la tribune publiée dans Le Monde, en l’occurrence Sylvain Waserman et Nicolas Démoulin publient volontairement l’agenda de leurs rencontres avec des représentants d’intérêts. Aucun des présidents des groupes politiques n’a pour le moment adopté cette bonne pratique.

Parmi les 49 députés signataires de la tribune qui ont adopté la bonne pratique de rendre public leur agenda de rencontre avec les lobbyistes, 44,9% le font sur les réseaux sociaux, 51% sur leur site, sous format sous licence ou peu exploitable (PDF, agenda sous licence), tandis que seulement deux députées publient leur agenda sous un format ouvert.

La publication d’agenda sous format ouvert, comme TI-France et le WWF le préconisait dans leur campagne Lobbying à découvert est donc extrêmement minoritaire. Un constat regrettable car seule la pratique généralisée et le recours à un format ouvert, facilement exploitable par les observateurs, journalistes ou simples citoyens, peuvent permettre d’atteindre l’objectif des 323 signataires de la tribune de permettre « à l’ensemble des citoyens de mieux comprendre la façon dont se construit la loi et de saisir la réalité des relations entre décideurs publics et représentants d’intérêts ».

Dans cette optique, la généralisation de la bonne pratique de publication par les députés de l’agenda de leurs rencontres avec les représentants d’intérêts repose davantage sur le bureau de l’Assemblée que sur les députés eux-mêmes, via l’accumulation d’initiatives et de pratiques individuelles. C’est au bureau de l’Assemblée nationale de mettre à disposition des députés un outil adapté, sécurisé et facile à utiliser pour inciter chaque élu du Palais Bourbon à la bonne pratique et permettre ainsi la constitution de données exploitables par les observateurs.

Si les pratiques des députés témoignent d’une progression non négligeable de la culture de la transparence du lobbying au sein du Palais Bourbon, il nous semble nécessaire de relancer la dynamique pour que cette bonne pratique s’impose à tous comme une évidence, notamment au sein de l’exécutif où l’opacité reste la règle alors que c’est à ce niveau que sont prises les décisions publiques les plus importantes.

Car les enjeux de la transparence du lobbying ne se limitent pas aux enceintes du Palais Bourbon et du Sénat. La culture de la transparence de la vie publique, à travers les obligations légales et les bonnes pratiques, doit progressivement gagner l’ensemble des niveaux impliqués dans l’élaboration de la décision publique et où s’exercent les activités de lobbying, et notamment les cabinets ministériels et la haute fonction publique. Les Parlementaires, et notamment les présidents des deux chambres et les président de groupes, ont donc un rôle à jouer en matière d’exemplarité pour contribuer à la progression de cette culture de la transparence de la vie publique.

En matière de transparence de la vie publique, les actes doivent être aussi ambitieux que les annonces

Dans leur tribune, les 323 députés de la majorité avaient insisté sur l’importance de « promouvoir ces « bonnes pratiques » dans le cadre d’une démarche volontaire et non obligatoire ». Un point de vue également partagé par le Sylvain Waserman dans son Pré-rapport pour un lobbying plus transparent et responsable rendu public en janvier dernier.

Les députés européens nous ont récemment prouvé que le volontarisme pouvait suffire à faire progresser la culture de la transparence en matière du lobbying. En effet, un rapport de Transparency International Europe a révélé que 44% des actuels députés européens publiaient volontairement leurs rencontres avec des représentants d’intérêts à la date du 22 Septembre 2020. 58% des eurodéputés français ont adopté cette bonne pratique dépassant les obligations réglementaires incombant aux députés européens.

Les députés Français peuvent suivre l’exemple de leurs homologues européens pour continuer à faire progresser la culture de la transparence du lobbying. Les travaux entamés en début de mandat avec la loi pour la confiance dans la vie politique, la volonté politique affichée des 323 députés de la majorité et les propositions contenues dans le pré rapport de Sylvain Waserman en attestent.

Nous restons à la disposition du bureau de l’Assemblée nationale, des 323 députés de la majorité, mais aussi de l’ensemble des parlementaires, hauts fonctionnaires et membres de cabinets ministériels pour les aider à dépasser les différents obstacles techniques, organisationnels ou méthodologiques qui pourraient les empêcher de tenir leur engagement.

Il reste un an pour relancer la progression de transparence de la relation des décideurs publics avec les lobbyistes. Il reste un an aux décideurs publics pour dépasser leurs obligations légales et adopter des bonnes pratiques à la hauteur des légitimes exigences démocratiques citoyennes en matière de transparence du lobbying. Il reste un an à 85% des signataires de la tribune Lobbying : « Pour des pratiques radicalement nouvelles et volontaristes en matière de transparence » pour être les précurseurs qu’ils ambitionnaient d’être.

EN SAVOIR PLUS

[Communiqué] Covid-19 / L’urgence ne doit pas servir de prétexte pour remettre en cause des dispositions essentielles à la transparence de la vie publique

Notre dossier COVID-19 / Mobilisés pour qu’une crise démocratique ne vienne pas s’ajouter aux crises sanitaire et économique

[TRIBUNE] Marc-André Feffer et Elise Van Beneden : La « transparence du lobbying » plus nécessaire que jamais face aux aux conséquences de la pandémie de Covid-19

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