Biens mal acquis : La France crée le dispositif de restitution des biens mal acquis réclamé par les ONG depuis 14 ans ! Présentation

La France crée le dispositif de restitution des biens mal acquis réclamé par les ONG depuis 14 ans ! Présentation

Publié le 25 juin 2021

A la faveur du vote du projet de loi Développement solidaire en commission mixte paritaire, Sénateurs et Députés ont acté la création d’un dispositif de restitution transparente des biens mal acquis aux populations des pays d’origine des fonds. Un dispositif réclamé depuis près de 14 ans par les ONG, Transparency International France en tête, afin de pallier un vide juridique : dans ces affaires dans lesquelles les biens mal acquis étaient confisqués par la justice française de manière dite « autonome », c’est-à-dire sans requête ou action initiée par le pays d’origine, toute restitution au bénéfice des populations de ces pays était en effet impossible.

L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Teodorin Obiang attendu le 28 juillet qui pourrait confirmer la condamnation du Vice-président de la Guinée équatoriale et acter la confiscation définitive de ses biens, devrait apporter une première opportunité de mettre en œuvre ce dispositif.

Une page se tourne sur 14 années de procédures et de plaidoyer. Un nouveau chapitre s’ouvre, celui de la restitution. Explications.

EN SAVOIR PLUS

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Etapes d’élaboration, principes et enjeux du mécanisme de restitution

Chronologie

  • 2007

    Dépôt des premières plaintes à l’encontre de trois dirigeants africains, et de leur entourage, suspectés d’avoir détourné de l’argent public dans leur pays et de l’avoir investi, en partie, en France

  • 2010

    Ouverture d’une information judiciaire

  • 2017

    Condamnation de Teodorin Obiang, vice-président de Guinée Equatoriale, pour blanchiment de détournement de fonds publics et confiscation de l’ensemble de ses biens situés en France saisis durant la procédure

  • 2020

    Confirmation par la Cour d’appel de cette condamnation

  • 2021

    • Examen par la Cour de cassation du pourvoi déposé par Teodorin Obiang
    • Adoption du projet de loi de programmation développement solidaire portant création d’un mécanisme de restitution des avoirs

     

Quels sont les infractions et les biens concernés par le futur dispositif de restitution ?

Infractions concernées

  • Le blanchiment, le recel, le recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l’une des infractions portant atteinte à la probité expressément visées à l’article 1er alinéa XI de la loi de programmation parmi lesquelles la corruption d’agent public étranger et le trafic d’influence, le détournement de fonds public, l’abus de confiance, etc.
  • Il doit avoir été établi que l’infraction d’origine, ou infraction dite sous-jacente, a été commise par un agent public étranger.

Exemples

Le vice-président d’un pays situé en Afrique de l’Ouest (agent public étranger) a détourné de l’argent public (infraction d’origine) dans son pays, puis l’a investi en France dans l’achat de plusieurs biens immobiliers (infraction de blanchiment commise sur le territoire français).

 

 

La fille ainée de l’ancien président d’un pays d’Asie centrale (agent public étranger) a prélevé plusieurs centaines de millions de pots de vins auprès d’entreprises étrangères souhaitant s’implanter dans son pays (infraction d’origine). Elle a placé cet argent dans sur des comptes bancaires situés en Europe. En France, elle a notamment acquis plusieurs propriétés immobilières de luxe (infraction de blanchiment commise sur le territoire français).

Biens concernés

Le projet de loi de programmation prévoit que l’ensemble des biens confisqués, sans distinction, à la suite d’une condamnation pour blanchiment, recel, recel de blanchiment ou blanchiment de recel de l’une des infractions portant atteinte à la probité expressément visées à l’article 1er alinéa XI, peuvent être restitués.

Ainsi, aux termes de l’article 131-21 du Code pénal qui pose le régime de la peine complémentaire de confiscation, peuvent être confisqués et restitués :

  • Tous les biens quelle qu’en soit la nature ayant servi à commettre l’infraction ou étant destinés à la commettre
  • Tous les biens qui sont le produit direct ou indirect de l’infraction
  • Tous les biens quelle qu’en soit la nature appartenant à la personne condamnée lorsque cette dernière, mise en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’a pu en justifier l’origine.

Quelles garanties ?

L’un des principaux défis auquel doit répondre une politique de restitution des avoirs consiste à s’assurer que les fonds confisqués, une fois restitués, ne retombent dans les circuits de la corruption ou entre les mains d’agents publics corrompus.

Pour ce faire, un dispositif de restitution doit s’accompagner de garanties suffisamment solides permettant de s’assurer de la transparence, de la redevabilité et de l’intégrité du processus. Ces garanties doivent toutefois être assez générales pour couvrir plusieurs cas de figure et modalités de restitution selon l’histoire, le régime politique, la situation géographie, etc. du pays d’origine des avoirs.

Ce que prévoit le projet de loi de programmation :

  • Les fonds confisqués donneront lieu à l’ouverture de crédits budgétaires spécifiques placés sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères.
  • Ces fonds financeront des actions de coopération et de développement dans les pays concernés au plus près des populations, dans le respect des principes de transparence et de redevabilité, et en veillant à l’association des organisations de la société civile.
  • Le ministère des affaires étrangères définira au cas par cas les modalités de restitution de ces recettes de façon à garantir qu’elles contribuent à l’amélioration des conditions de vie des populations.

Ces dispositions ont grandement été inspirées des recommandations des organisations de la société civile, elles-mêmes tirées des meilleures pratiques internationales ainsi que des dix principes du Global Forum on Asset Recovery (GFAR) arrêtés en décembre 2017 pour la disposition et le transfert des avoirs volés confisqués dans les affaires de corruption.

Ces garanties et leurs modalités de mise en œuvre devront être précisées ultérieurement dans le cadre du projet de loi de finance pour l’année 2022 en ce qui concerne les modalités budgétaires et dans le cadre d’un éventuel décret d’application en ce qui concerne les autres modalités.

Ces modalités pourront également être précisées à chaque nouveau cas de restitution, dans le cadre d’un accord intergouvernemental.

Exception

L’article 1er alinéa XI prévoit expressément que le futur dispositif de restitution s’appliquera « sous réserve de l’article 706-164 du code de procédure pénale ». Aux termes de cet article, toute personne physique ou morale constituée partie civile, y compris un État étranger, qui bénéficie d’une décision définitive lui accordant des dommages-intérêts peut obtenir que ces sommes lui soient payées prioritairement sur les biens confisqués.

Illustration : Quels pays concernés ? Montant des biens concernés ?

Affaire jugées (susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation) :

Guinée Equatoriale

  • Condamnation de Teodorin Obiang, vice-président de Guinée Equatoriale, pour blanchiment de détournement de fonds publics en 2017 par le tribunal correctionnel de Paris. Condamnation confirmée en appel en 2020 par la Cour d’appel de Paris.
  • Valeur des biens confisqués : approximativement 150 millions d’euros.

Syrie

  • Affaires en cours d’enquête : plus d’une vingtaine (Gabon, Congo, Djibouti, Liban, Tunisie, Egypte, Libye, etc.)

Extraits des dispositions portant création d’un mécanisme de restitution dans le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales

Article 1er […] XI. – « Dans le cadre de la politique française de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales, et sous réserve de l’article 706‑164 du code de procédure pénale, sont restituées, au plus près de la population de l’État étranger concerné, les recettes provenant de la cession des biens confisqués aux personnes définitivement condamnées pour le blanchiment, le recel, le recel de blanchiment ou le blanchiment de recel de l’une des infractions prévues aux articles 314‑1, 432‑11 à 432‑16, 433‑1, 433‑2, 433‑4, 434‑9, 434‑9‑1, 435‑1 à 435‑4 et 435‑7 à 435‑10 du code pénal, lorsque la décision judiciaire concernée établit que l’infraction d’origine a été commise par une personne dépositaire de l’autorité publique d’un État étranger, chargée d’un mandat électif public dans un État étranger ou d’une mission de service public d’un État étranger, dans l’exercice de ses fonctions, à l’exclusion des frais de justice.

À cette fin, les recettes mentionnées au premier alinéa du présent XI donnent lieu à l’ouverture de crédits budgétaires au sein de la mission « Aide publique au développement », placés sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères, et financent des actions de coopération et de développement dans les pays concernés au plus près des populations, dans le respect des principes de transparence et de redevabilité, et en veillant à l’association des organisations de la société civile. Le ministère des affaires étrangères définit, au cas par cas, les modalités de restitution de ces recettes de façon à garantir qu’elles contribuent à l’amélioration des conditions de vie des populations. »

[…]

Rapport annexé – Cadre de Partenariat Global […]

Alinéa 111 « La France restitue, en coopération avec les États étrangers concernés, et au plus près des populations de ces États, les fonds issus de la cession des biens dits « mal acquis », dans le cadre du mécanisme prévu à l’article 1er de la présente loi, et conformément à l’ODD 16 de l’Agenda 2030 et du Programme d’Action d’Addis‑Abeba. Dans le respect des principes de transparence et de redevabilité, notamment rappelés lors du Forum Mondial sur le Recouvrement des Avoirs de 2017, la France veille à la bonne information du Parlement, des citoyens et des organisations de la société civile, et à l’association de cette dernière au suivi de la mise en œuvre du mécanisme prévu à l’article 1er. Les actions de coopération et de développement financées dans les pays concernés, à partir des crédits ouverts concomitamment aux recettes issues de la cession des biens dits « mal acquis », ne sont pas comptabilisées au titre de l’aide publique au développement de la France. »

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