Biens mal acquis / William Bourdon : « Le droit est un outil pour faire avancer le débat public et rendre responsables ceux qui refusent de l’être »

Biens mal acquis / William Bourdon : « Le droit est un outil pour faire avancer le débat public et rendre responsables ceux qui refusent de l’être »

William Bourdon

William Bourdon est un avocat français du barreau de Paris, qui exerce en droit pénal notamment en pénal des affaires, droit de la communication. Ancien secrétaire général de la FIDH et fondateur de l’association Sherpa, il a joué un rôle central dans les affaires de bien mal acquis. Il dirige le cabinet d’avocats Bourdon & Associés.

L’interview

En 2007, le CCFD Terre Solidaire publie le rapport « Biens mal acquis profitent trop souvent. La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales » qui constitue le point de départ des affaires de biens mal acquis. Quelques semaines plus tard, l’association Sherpa dépose plainte contre trois hommes politiques africains et des membres de leur entourage accusés d’avoir siphonné les caisses des Etats. Pouvez-vous nous raconter comment vous vous êtes engagé dans ce marathon judiciaire, avec quel état d’esprit, quels objectifs ? 

J’étais un très jeune avocat. Je n’ai pas réalisé la portée de ce que nous déclenchions, même si je savais que ce combat était conforme à la conception que je faisais de mon métier et de ma vie. Ancien secrétaire général de la FIDH, fondateur de l’association Sherpa en 2001, j’ai eu très tôt la conviction que le droit était un outil pour faire avancer le débat public et rendre responsables ceux qui refusent de l’être ; que la société civile pouvait remporter des batailles pour faire reculer l’impunité des grands criminels de sang et d’argent. J’ai vu ce rapport du CCFD, comme une opportunité de servir ce dessein. Avec Jean Meckaert et Antoine Dulin nous avons eu très vite l’intuition qu’il fallait déposer plainte.  

L’enquête s’ouvre vite. Très vite. Le pouvoir exécutif aurait très bien pu jouer l’obstruction ou empêcher l’enquête, pourtant, il l’a laissée prospérer. Elle prend rapidement une ampleur que je n’avais pas imaginé. Des messages de soutien affluent. Les enquêteurs de police avancent rapidement. Peut-être parce qu’ils connaissaient déjà tous les faits. Sans doute parce qu’ils étaient sûrs que le procureur de la République allait classer l’enquête sans suite. Ce fut d’ailleurs le cas, malgré tous les éléments factuels, extraits de comptes, virements et factures contenus dans le dossier.  

La rencontre avec Daniel Lebègue, Président de Transparency International France a été déterminante. Le contentieux ne faisait pas partie de l’ADN de cette ONG. C’est pourtant elle qui relance le dossier en déposant plainte. Cette plainte est jugée recevable, contre l’avis du parquet. Le parquet fait appel, dans une sorte de réflexe pavlovien. Le 4 novembre 2010, la Cour de cassation nous donne raison. C’est une décision historique. Je reste convaincu que les déclarations de Nicolas Sarkozy sur les « magistrats petits pois » nous a aidé. La saga judiciaire était lancée. Les juges d’instruction se succèdent et font le boulot. S’ensuivent des perquisitions historiques, des saisies de biens spectaculaires… 

Ces affaires de biens mal acquis sont-elles représentatives des affaires de corruption et de crimes économiques dont vous vous occupez ? Ont-elles des spécificités ?   

La spécificité, de ces affaires, c’était l’impunité. Les biens immobiliers étaient achetés et détenus de manière illégale au vu et au su de tous. Nous avons identifié presque tous les immeubles appartenant au clan Bongo en consultant l’annuaire ! Personne ne se cachait. Aujourd’hui, si l’on en croit un certain nombre de signaux, la France n’est plus considérée comme un paradis pour le blanchiment d’avoirs. C’est grâce à notre action. Est-ce un coup sévère porté au blanchiment international ? Non. Les fonds issus de la corruption vont désormais ailleurs, aux Emirats, à Abu Dhabi, Dubaï, etc.  

A travers cette affaire, vous avez contribué et contribuez encore à écrire le droit. Est-ce normal qu’un tel rôle échoie à la société civile et à des avocats ?  

Je suis un avocat engagé et citoyen, pas un mercenaire qui loue sa conscience et son talent. Je fais partie d’une génération un peu dégoutée de la politique qui a trouvé le moyen d’en faire à travers son métier. Je défends l’intérêt général, grâce au droit, grâce à l’imagination. Comme le disait Romain Gary : « Il faut toujours connaître les limites du possible. Pas pour s’arrêter, mais pour tenter l’impossible dans les meilleures conditions. ». C’est coûteux en temps, en énergie et en illusions, mais c’est ma vie. 

Dans ce monde de plus en plus complexe, les avocats peu scrupuleux n’ont jamais disposé d’autant de caches et d’outils pour opacifier la corruption. Ce constat appelle à la coresponsabilité et à l’émergence d’une société civile qui s’appuie sur des compétences et une expertise. Les ONG peuvent et doivent suppléer à la carence incroyable de nos responsables publics. Elles constituent un paravent contre le populisme et la démagogie politique.  

S’exposer autant comporte des risques. Ces affaires m’ont couté cher personnellement, à moi et mes proches. Menaces, filatures, recours à des officines pour monter des dossiers à charge, proposition de pot-de-vin, campagnes de diffamation, … Tous les procédés immondes ont été utilisés, jusqu’à l’audience où l’avocat de Teodorin Obiang est allé jusqu’à faire témoigner un ancien barbouze pour tenter de démontrer l’existence d’une collusion entre Georges Soros et moi. Un jour, un grand avocat est venu à mon cabinet me proposer une somme d’argent colossale pour que j’arrête. Il a pris la porte. Je regrette de ne pas avoir enregistré cet échange.  

Ce fut dur mais pas de regret. Chaque avancée de la procédure, comme les récentes mises en examen des « facilitateurs », ces agents immobiliers, notaires et banques, est une victoire. Ce sont ces victoires qui font avancer le droit et ouvrent la voie à de nouvelles plaintes, comme celles déposées contre Rifaat AL Assad ou plus récemment contre Riad Salamé, le gouverneur de la Banque centrale du Liban.

EN SAVOIR PLUS

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« La spécificité, des affaires de biens mal acquis, c’était l’impunité. Les biens immobiliers étaient achetés et détenus de manière illégale au vu et au su de tous. Aujourd’hui, grâce à notre action, la France n’est plus considérée comme un paradis pour le blanchiment d’avoirs. »

William Bourdon

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